Communément comprise comme discipline visant la conception et la production d’espaces pour la vie humaine, l’architecture a montré dans l’histoire qu’elle possède également un autre rôle qui se détache du monde de la réalité pour en dessiner des alternatives visionnaires à toutes les échelles (bâtiment, ville, territoire). Produites à partir d’une position critique de la société, ces visions sont diversement définies comme utopie, dystopie, eutopie, antiutopie, eutopie, sytopie, pantopie. Elles génèrent une multiplicité de formes alternatives d’architecture et permettent la prise de conscience et le soin des dysfonctionnements de la société en arrivant à imaginer sa refondation.
Super-Studio est un séminaire organisé avec la participation d’un protagoniste d’un projet visionnaire de refondation, Gian Piero Frassinelli du groupe de Superstudio. Le séminaire s’intéresse à l’étude du potentiel des visions idéales face à l’urgence sanitaire engendrée par la Covid-19. Cette pandémie, si elle est un fait d’exception et imprévu, met en lumière une “insatisfaction collective” face à un état de crise plus global (économique, climatique, sociale). Parmi les questions soulevées par l’urgence actuelle, Super-Studio se concentre sur la “distanciation sociale” qui remet en cause un des principes de base du “vivre ensemble”: la proximité des êtres humains dans les lieux de densité maximale, les villes. Ce qu’Arthur Schopenhauer qualifiait de “dilemme du hérisson” redevient d’actualité en identifiant une nouvelle distance interpersonnelle déterminée non par des besoins sociaux, mais sanitaires. Cette distance impose des limites inattendues aux libertés humaines. Super-Studio s’intéresse aux espaces engendrés par cette “distanciation sociale”. Animé d’une pensée visionnaire et soutenu par la raison, ce séminaire entend se libérer du présent et du contingent pour produire une sur-réalité critique, expression ultime d’une contestation nonviolente contre la société contemporaine.
Récit narratif en lien avec le triptyque.
Habiter. L’enfer c’est les autres ?
2020. La crise sanitaire frappe de plein fouet le monde entier. Les états, obnubilés par le contrôle et la situation sanitaire dirigent et surveillent les populations dont la police épluche le traçage de toutes personnes. L’épidémie révèle et accentue l’existence de grandes inégalités entre les individus. Alors qu’une catégorie de personnes plus favorisées a les moyens de se confiner — comme l’impose l’Etat — dans un endroit confortable et spacieux, loin du danger et de tout contact physique, d’autres sont contraints de se confiner dans un habitat inconfortable, à l’espace insuffisant parfois insalubre et surchargé.
2030. Les crises sanitaires se multiplient. Les virus mutent et les transmissions des maladies s’accélèrent. La situation dégénère totalement. L’Homme n’arrive plus à contrôler les propagations des maladies. La bulle sociale et spatiale se rétrécit. La population est incontrôlable et vulnérable. Les mesures de distanciation sociale mises en place ne sont plus respectées. Les inégalités persistent et se renforcent. Les habitants dans le monde ne veulent plus de cette société déséquilibrée et injuste. Les habitants se rebellent, sont en recherche d’un monde plus juste. Chaque habitant souhaite la même superficie, la même liberté et les mêmes ressources.
Afin de préserver l’espèce humaine, les populations décident de faire table rase et quittent leurs villes et leurs campagnes insalubres et épuisées. Elles se confinent dans un monde juste où chaque habitant serait sujet aux mêmes libertés, aux mêmes ressources, aux mêmes espaces.
2070. La surface terrestre est abandonnée depuis de nombreuses années. L’Homme oublie les sensations du monde passé. Seuls les vestiges du monde d’Avant se tiennent debout au milieu des ruines. L’Homme se retrouve confiné et sans cette vie urbaine, il en oublie l’odeur des rues, les vibrations des sols bétonnés. Les sensations d’un monde passé ne sont que souvenirs et vestiges archéologiques.
Dans le monde d’Après, l’Homme ne vit plus sur la surface de la Terre. Il est désormais installé en hauteur, au-dessus des territoires dont les ressources ont été épuisées. Chaque être investit son seul habitat, possédant un espace restreint, calculé au mm près. Séparés des autres et adhérents au seul principe qu’ils louent désormais et pour lequel ils ont fait vœu de fidélité : La Grille. Il faut dire qu’ils ne jurent que pour elle. Elle était d’ailleurs rapidement devenue leur symbole d’égalité sur pilotis. Ils obéissent à cette nouvelle loi : la grille dicte les pas, les pensées.
L’Homme tend vers l’au-delà dans l’espoir d’un nouvel air respirable en hauteur, au-dessus des territoires infestés.
Il faut organiser, planifier, ordonner. L'équilibre des dernières ressources disponibles repose sur des calculs rationnels. L’Homme programme cette machine d’une intelligence inouïe, serviable et fidèle en tout point. Cette intelligence, personne ne la voit. Invisible aux yeux des Hommes mais efficace, elle étend ses larges réseaux de câblages en sous-sol, sous la plateforme de leur espace personnel. Celle-ci surveille chaque être sur son terrain limité et fonctionnel pour les maintenir en vie.
Regardez au loin, le territoire s’étend tous les jours. La grille est tellement expansible qu’une large partie du globe a disparu dans l’obscurité. Le nouveau jour ne se lève plus que sur ce nouveau monde multiconducteur, assemblé en un toron sous le plateau fixe.
Un semblant de liberté donné par parcelle donne un vain espoir d’un monde connecté.
Chaque humain est isolé, seul, sur une parcelle de 100 m². À son arrivée il accède aux ressources nécessaires pour construire son logement, souvent primitif. Tous sont obligés de rester sur leur parcelle délimitée par un large vide, barrière contre la propagation des virus.
Beaucoup s’approchent de ce vide pour retrouver les souvenirs au sol. Les déplacements entres parcelles sont abolis et condamnés par la machine, définis comme sources d’inégalités entre individus.
Cette nouvelle société est basée sur un individualisme extrême.
Chacun vit de ses besoins primaires et fait ce qu’il veut sur sa parcelle. Tout le monde a accès à ce qu’il faut grâce à la machine et à la technologie. Les humains organisent leur temps libre comme ils le souhaitent, selon leurs envies mais ont un unique rôle : entretenir la surface de leur parcelle pour qu’elle ne meurt pas et qu’ils puissent continuer à être surveillés par la machine. Quiconque tente de devenir déviant en brisant cette surveillance se verrait privé de ressources et mourrait. Le programme l’empêche de rejoindre l’autre. La société des hommes s’étiole. Il croit s’auto suffire et se détruit progressivement.
Il est étonnant de remarquer que l’Homme pensant résoudre des inégalités et sauver l’espèce, se ferme et se suffit finalement à lui-même admettant ainsi un état d’esprit commun : à quoi me sert mon voisin ?
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Équipe: Nadège Snoy, Tiphaine Boussard, Julie-Anna Barès.